LES FRÈRES DU SACRÉ-CŒUR CANADIENS
ET LES MISSIONS «AD GENTES»
 

Les quatre premiers frères du Sacré-Cœur sont arrivés au Canada, à Arthabaska, en 1872. Sur les trois venus des États-Unis, deux étaient d’origine française et l’autre Américain; le dernier, le plus jeune, est venu directement de France. Quarante ans plus tard, en 1912, on comptait 338 frères, répartis dans 35 établissements. Il s’agit là d’une expansion remarquable. Le conseil général de l’institut décida qu’il était opportun de scinder ce qui était alors connu sous le nom de province du Canada en deux nouvelles provinces, celle d’Arthabaska et celle de Montréal. Le mouvement d’expansion se poursuit de façon étonnante; au cours des années cinquante, l’institut comprend sept provinces sur le sol canadien, six au Québec et une en Ontario. L’effectif total de ces provinces atteint un sommet 1708 profès canadiens.

Le groupe fondateur fut d’abord sous l’autorité des États-Unis (Mobile, Alabama) au plan administratif. D’où il suit que, durant plus d’un quart de siècle, les frères du Canada ont entretenu des liens très étroits avec les confrères des États-Unis, partageant même éventuellement la même maison de formation, le noviciat. Comme naturellement, les provinces d’Arthabaska et de Montréal fondèrent des maisons en Nouvelle-Angleterre, de sorte qu’une province communautaire y est issue en 1945. La mission du Lesotho, que nous mentionnerons plus bas, lui fut cédée.  

C’est en 1928 que les fondations en territoires de mission commencèrent avec l’envoi de trois frères à Tananarive, dans l’île de Madagascar. C’est à la province d’Arthabaska qu’il revient d’avoir accepté, la première, d’établir une œuvre d’éducation dans une perspective missionnaire, en terre lointaine. Cet aspect de l’engagement apostolique n’est pas étranger, toutefois, aux frères de l’institut, car ils aiment répéter combien le fondateur, le Père André Coindre, affectionnait l’énoncé : «Mon œuvre est universelle.» Il faut savoir aussi que le 28 février 1926, le Pape Pie XI avait publié une encyclique : «Rerum Ecclesiae» qui allait jouer un grand rôle dans le développement des missions. Il y lançait au monde, religieux compris, l’invitation de redoubler d’efforts et de «multiplier l’effectif des missionnaires.» Les frères canadiens entrèrent généreusement dans le mouvement.  
 

L’apport de chacune des provinces communautaires canadiennes
 
 

Chez les Frères du Sacré-Cœur, l’unité administrative que constitue la province est très forte et son organisation lui donne beaucoup d’autonomie. Fondations, nominations, orientations et administration relèvent de sa compétence. Cela aide à comprendre pourquoi le tableau que nous présentons ici doit faire référence à chacune des provinces canadiennes, car la décision d’établir une mission revenait à chacune et sa gestion relevait de son initiative.

La province d’Arthabaska. – Comme nous l’avons déjà mentionné, la première fondation missionnaire a été faite par la province d’Arthabaska en 1928. Le frère Théophane, après s’être démis de ses fonctions de supérieur provincial, partit avec deux frères pour aller au Collège Saint-Michel de Tananarive, à Madagascar. En 1953, ce sont trois autres frères qui partent pour prendre la direction de l’école de Makak, au Cameroun français. Puis, en 1982, la province d’Arthabaska accepta de fonder une troisième mission au Tchad, à Pala, pour venir en aide au diocèse.  

En s’adressant aux Frères du Sacré-Cœur les évêques ou vicaires apostoliques faisaient appel à des éducateurs par vocation et ils avaient d’abord la préoccupation de trouver des religieux enseignants zélés pour prendre en charge écoles, collèges et institutions d’enseignement. Il faut dire, cependant, que les circonstances ont fait que souvent, surtout à partir des années soixante et soixante-dix, des frères ont accepté de s’engager dans des services diocésains ou paroissiaux de type pastoral ou autre.

La province de Saint-Hyacinthe. – En 1929, la province de Saint-Hyacinthe, à son tour, fonda une mission à Khartoum, ville du Soudan anglo-égyptien. La perte de deux frères qui succombèrent à la fièvre noire et les difficultés pour réaliser une œuvre qui répondaient à leurs aspirations forcèrent les frères à abandonner cette mission en 1936. Ils quittèrent Khartoum d’abord, puis Wau et Bessère où ils avaient tenté de prendre racine. Mais dès 1937, cinq frères, bien déterminés, se rendirent au Basutoland (Lesotho), dans la mission de Santa-Monica. L’année suivante, l’évêque leur confia la direction de l’École Normale du Collège de Roma. En 1943, la province fonda une mission dans les Antilles, à Haïti. Deux écoles furent ouvertes, l’une à Miragoâne et l’autre aux Cayes. Peu après, en 1945, l’évêque de Campanha, au Brésil, voulait confier son collège diocésain aux Frères du Sacré-Cœur; le supérieur provincial accepta d’y envoyer quatre frères.

La province de Québec. – Nous parlons ici, bien sûr, de la province communautaire de Québec. Dès sa création, la province a eu la responsabilité de la mission du Chili. En effet, au mois d’octobre 1945, cinq frères prirent la direction de l’école primaire Ruiz Tagle, à Santiago. En 1979, la province se tourna vers la Polynésie française qui avait l’avantage de ne pas nécessiter l’apprentissage d’une langue nouvelle. On fit d’abord une tentative d’implantation aux Îles Marquises qui échoua; on eut plus de succès aux Îles Gambier, en 1982, où quatre frères se rendirent. Ils s’installèrent à Rikitéa; ils s’y dévouèrent dans un centre technique où ils enseignèrent les métiers de base, en plus de s’adonner à la catéchèse. À Tahiti (1988), le projet des frères fut  d’organiser et de maintenir un foyer vocationnel. À Makemo (1989), une équipe de frères mit sur pied un Centre d’éducation au développement (CED) dont l’objectif était de venir en aide aux jeunes défavorisés dispersés sur les îles. Enfin, les frères retournèrent aux Îles Marquises (1992) où, cette fois, ils prirent charge d’un pensionnat..

La province de Granby. – De 1954 à 1959, la province de Granby fit une tentative de fondation aux Pays-Bas. Ce pays, réputé très missionnaire, retint l’attention des supérieurs; on croyait y trouver une excellente relève qui soutiendrait l’effort missionnaire des frères canadiens. Après l’abandon de ce projet, on regarda du côté du Sénégal. En octobre 1959, trois frères assumèrent la direction d’une école élémentaire dans la paroisse de la cathédrale, à Dakar même. Un nouveau projet missionnaire prit naissance en 1972; le conseil provincial approuva une nouvelle œuvre au Koni au Mali que l’on nomma «Centre familial d’animateurs ruraux». La communauté s’engagea pour cinq ans; elle y demeura dix ans. Quatre frères lancèrent le projet dans un secteur très islamisé. Par la suite, on prit la direction d’écoles ou de collèges à Bamako, à Bandiagara, à Dobwo et à San. L’œuvre de Bandiagara prit fin en 2003.  On y chercha à favoriser les familles et les jeunes des milieux ruraux.

La province de Montréal. – La province de Montréal avait déjà depuis quatorze ans la responsabilité de la mission d’Haïti. Elle fonda en 1957 une mission en terre africaine. Trois frères prirent la direction du Collège-École Normale dans la ville épiscopale de Daloa, en Côte d’Ivoire.

La province de Rimouski. – À l’été de 1954, les frères de la province de Rimouski fondèrent une mission en Nouvelle-Calédonie, à Bourail. Quatre frères prirent la direction de l’école Sacré-Cœur. Pour créer une ouverture aux frères du Nouveau-Brunswick qui souhaitaient un engagement missionnaire, la province a aussi fondé une mission en Australie, en 1965. Cinq frères ouvrirent une école à Melbourne.

La province de Sherbrooke. – En 1962, trois frères partirent pour le Congo belge malgré une situation politique des plus inquiétantes. L’année suivante, deux autres frères se joignirent au groupe fondateur. La situation ayant empiré et les frères y ayant presque laissé leur vie, on les rapatria. Après avoir exploré la possibilité de jeter les bases d’un futur district dans le Nord-Est du Brésil, un groupe de frères s’établit à Fortaleza, en 1970. Ils y créèrent un petit centre communautaire de six classes. En juillet 1985, trois frères prirent la direction d’un foyer vocationnel et d’un collège communautaire à Atakpamé, au Togo.

La province d’Ottawa. – Trois frères de la jeune province d’Ottawa s’embarquèrent pour les lointaines Philippines, au printemps de 1959. Ils allaient prendre la direction d’une école secondaire paroissiale à Digos, sur l’île de Mindanao.


Face à un monde et à une Église en mutation

Les bouleversements qui ont eu lieu dans la société au cours des années soixante et soixante-dix ont eu des répercussions profondes sur les communautés religieuses: en particulier, baisse des vocations et vieillissement. Elles ont dû procéder à des regroupements et à des réorganisations. C’est ainsi que les Frères du Sacré-Cœur du Canada sont passés de sept provinces communautaires à trois provinces, puis, à une seule province en 2002.

Ces nouveaux aménagements ont demandé une révision de toute la gestion du secteur des missions. Donnons un bref aperçu de ce dont hérita la province de Montréal d’abord, puis les autres provinces qui ont dû entrer dans le processus du regroupement.

La province de Montréal (1988-2002). – La province de Montréal fut le nom adopté par le regroupement des anciennes provinces de Montréal, de Granby et d’Ottawa. La nouvelle province n’avait plus la responsabilité de la mission du Brésil qui avait été constituée en province en 1987 et qui avait été gérée par la province de Granby durant de nombreuses années. Mais, elle gardait des liens et des responsabilités importantes envers le secteur Mali/Burkina Faso, les districts de Côte d’Ivoire, d’Haïti, des Philippines et du Sénégal jusqu’en 1990, alors que ce district accéda au statut de province communautaire (avec plus de 60 frères sénégalais). Il faut noter qu’en 1994, trois frères mirent sur pied un projet de pastoral original à l’intention des familles et des jeunes à Toma, au Burkina Faso.

La province du Saint-Laurent (1994-2002). – On donna le nom de province du Saint-Laurent au regroupement des anciennes provinces de Québec et de Rimouski. Dans le domaine des missions, les frères de la nouvelle province furent responsables des districts du Chili et du Pacifique Sud (Nouvelle Calédonie, Australie, Vanuatu, Wallis Futuna,  Îles Gambier, Tahiti, Makemo et Îles Marquises). En 1995, le district du Pacifique Sud prit l’initiative d’envoyer trois frères sur l’île Yule, en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

La province d’Arthabaska (1995-2002). – Lors du regroupement des provinces d’Arthabaska et de Sherbrooke, on conserva le nom bien historique d’Arthabaska, le berceau de l’institut au Canada, pour désigner la nouvelle province. La responsabilité des missions suivantes lui revint: le Cameroun et le Togo. Madagascar avait été érigée en province communautaire en 1957, plus de 60 frères malgaches en faisaient partie.


L’éveil à la vocation missionnaire

L’effort consenti en faveur des missions par un groupe voué à l’éducation, comme l’étaient les frères canadiens, est assez extraordinaire. Il faut savoir que leurs milieux de formation cultivaient la spiritualité missionnaire et les interpellaient de multiples façons. Il y avait les conférences par les missionnaires de passage, les cercles missionnaires, les journées de prières consacrées aux missions et les expositions missionnaires, avec en plus les dépliants et les revues mis à la disposition des jeunes.

Il y avait aussi l’idéal qu’on se faisait de la vocation missionnaire. On y voyait une vocation à l’intérieur de la vocation religieuse, une sorte de nouvelle consécration, le don d’une vie. Nos anciens missionnaires se donnaient pour la vie à leur mission; il faudra attendre les années soixante pour concevoir un service ponctuel et temporaire à une mission, de même que la formation d’équipes missionnaires d’une certaine mobilité.

C’est parce qu’on reconnaissait leur vocation d’éducateurs religieux qu’on faisait appel aux frères. Rien d’étonnant à cela, leur ministère propre tel qu’énoncé dans leurs constitutions est l’éducation chrétienne. Mais, s’ajoutait à cela pour beaucoup le défi de bâtir et un bon nombre de missionnaires avaient un cœur de bâtisseur. Souvent les frères ont eu à ériger leurs écoles et leurs collèges, à amorcer le recrutement pour une relève, à élargir leur rayonnement et à multiplier les œuvres, à aménager un encadrement pour la formation, à prévoir la mise sur pied d’un secteur autosuffisant et autonome. On allait en mission pour «planter un rameau de l’institut» pour reprendre une expression courante. Est-ce que les frères ont connu le succès? Oui, si on considère la réponse faite à l’appel missionnaire et si on s’en remet à Dieu qui demande qu’on aille travailler à la vigne et qu’on ait le souci de la moisson. C’est Lui cependant qui fait fructifier.

Les frères canadiens se sont retirés de onze pays où ils ont eu des missions et ils ne restent plus qu’un petit nombre de frères dans les pays où maintenant la relève assure vaillamment l’avenir de  l’œuvre instaurée.


L’animation missionnaire

Nous avons vu que les frères faisaient de l’animation missionnaire dans les maisons de formation de leurs sujets. Leurs écoles ont aussi profité de cette animation. Lors de leur passage, les missionnaires adressaient la parole aux élèves; ils partageaient leur expérience avec eux. Il y eut également l’organisation de journées missionnaires et de journées de prière, de même que, parfois, la création de cercles missionnaires.

Presque dans chacune des provinces communautaires on constitua des bureaux ou procures de mission. On publia un bulletin missionnaire, on recueillit des fonds, on distribua le calendrier du Sacré-Cœur dont les profits réalisés allèrent à l’aide aux missions.

À l’occasion, le service missionnaire provincial chercha l’appui de collaborateurs et de collaboratrices laïques, suscita l’engagement de fidèles pour les missions et imagina une formule d’association souple pour soutenir tel ou tel projet en pays de missions.
 

Un tableau et quelques données statistiques

  A) Liste des missions ad gentes
       Année de fondation et, s’il y a lieu [année de retrait]  

      1-     Madagascar: 1928
2-     Soudan anglo-égyptien: 1929 – [retrait:1936]
3-     Basutoland (Le Lesotho): 1937
4-     Haïti: 1943
5-     Brésil: 1945
6-     Chili: 1945
7-     Cameroun: 1953
8-     Nouvelle-Calédonie: 1954
9-     Pays-Bas: 1954 – [retrait:1959]
10-  Côte d’Ivoire: 1957
11-  Philippines: 1959
12-  Sénégal: 1959
13-  Congo belge: 1962 – [retrait: 1964]
14-  Australie: 1964 – [retrait: 1998]
15-  Nouvelles-Hébrides (Vanuatu):1967
16-  Brésil (région du Nord-Est): 1970 – [retrait: 1978]
17-  Mali: 1972
18-  Zaïre: 1973 – [retrait: 1987]
19-  Wallis-et-Futuna: 1980
20-  Îles Gambier: 1982 – [retrait: 1996]
21-  Tchad: 1982
22-   Togo : 1985
23-  Tahiti: 1988 –  [retrait: 2001]
24-  Makemo: 1989 – [retrait: 1997]
25-  Inde: 1990
26-  îles Marquises: 1992 – [retrait: 1996]
27-  Burkina Faso: 1994
28-  Papouasie – Nouvelle Guinée: 1995 –  [retrait: 2001]

Présence dans 28 pays; retrait de 11 pays; 17 pays où il y a encore des frères du Sacré-Cœur canadiens.
 

B)              Nombre de frères canadiens en 2002: 413
Nombre de frères en mission «ad gentes»: 74
 

C)               Nombre de frères canadiens en 1993: 605
Nombre de frères en mission «ad gentes»: 144
 

D)               Nombre de frères canadiens en mission «ad gentes» ou qui le furent
en 2002 sur 413: 187
en 1996 sur 498: 209

 
Aujourd’hui


Actuellement, la province du Canada compte 291 frères sur le territoire. En dépit du phénomène évident de la décroissance, il y a encore 54 frères canadiens qui oeuvrent dans les pays de mission.

Au plan administratif, la province du Canada a gardé la responsabilité de deux délégations: les Philippines et l’Afrique centrale (Cameroun et Tchad). De ses anciennes missions plusieurs ont accédé au statut de province communautaire et donc fonctionnent de façon autonome: Madagascar (1957), le Brésil (1987), le Sénégal (1990), Haïti (2003), l’Océanie [Nouvelle-Calédonie, Vanuatu, Wallis] (2004) et l’Afrique de l’Ouest [Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Togo] en décembre 2004, comptant alors plus de 50 frères africains. Le Chili, ancienne mission des frères canadiens, fait partie de la province d’Amérique australe depuis le mois de janvier 2003.

Même si en 2006 plusieurs missions, relevant autrefois des frères canadiens, sont désormais regroupées en provinces indépendantes, les liens se maintiennent à travers l’organisation de conférences qui sont convoquées périodiquement. Par ce biais, les frères du Canada continuent d’assurer de l’aide et de prodiguer certains services à ces missions qu’ils ont implantées.

L’administration générale, mettant en œuvre une ordonnance du chapitre général de 2000, a constitué un fonds de solidarité, auquel a contribué généreusement les frères du Canada dans le but de consolider les provinces communautaires de l’hémisphère sud davantage défavorisées, comme on le sait.

Les temps sont changés. La situation n’est plus la même. Volontiers, nous jetons un regard rétrospectif de vive admiration sur l’effort missionnaire de nos devanciers, tout en étant remplis d’espérance pour l’avenir. La semence jetée en terre est prometteuse quand on sait combien le Maître de la moisson peut poser des gestes étonnants.

 
Jean-Claude Éthier, S.C.  

Jean-Claude Éthier, S.C., est l’auteur d’un livre intitulé : Les Frères du Sacré-Cœur, Leur apostolat au Canada 1900-2004, Commentaire historique, Essai, paru en 2004. Cet ouvrage l’a souvent conduit à traiter de la dimension missionnaire dans les réalisations des frères canadiens. Il s’en est inspiré pour l’article qu’il nous propose ici.